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Individus, couples, familles et organisations

La Saint-Valentin : Entre Traditions Historiques et Enjeux de la Société de Consommation
févr. 12
Temps de lecture : 5 min
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Chaque 14 février, la Saint-Valentin s’impose comme une célébration incontournable de l’amour, un moment où l’expression des sentiments prend une place centrale. Pourtant, cette fête oscille entre sincérité et marchandisation, entre rituel authentique et récupération consumériste. Si elle est souvent critiquée pour son rôle dans l’économie du désir et de la consommation, elle répond néanmoins à un besoin fondamental : marquer une pause dans le quotidien pour célébrer l’affection et la connexion humaine.
Dans un monde où le capitalisme structure nos existences en flux ininterrompus de travail et de production, la disponibilité pour l’intimité se réduit, tandis que les formes de connexion numériques prennent de plus en plus de place. Comment, dès lors, réconcilier la Saint-Valentin avec un besoin réel de lien authentique, tout en s’affranchissant de ses normes marchandes ? Et comment inclure, dans cette réflexion, celleux pour qui cette fête résonne avec solitude, rupture ou questionnements identitaires ?
Racines Historiques et Légendaires (History.com Editors, 2025)
Les origines de la Saint-Valentin sont multiples et puisent à la fois dans des traditions païennes et des récits chrétiens. Deux grands récits émergent parmi les nombreuses hypothèses sur l’origine de cette célébration.
L’une des théories les plus courantes associe cette fête aux Lupercales, une célébration païenne qui se déroulait entre le 13 et le 15 février en l’honneur de Lupercus, dieu de la fertilité. Au début de ce festival, les Luperci, un ordre de prêtres romains, se rassemblaient dans une grotte sacrée liée à la légende de Romulus et Remus, ces jumeaux mythiques nourris par une louve. Là, ils sacrifiaient une chèvre pour invoquer la fertilité, puis découpaient sa peau en lanières qu’ils trempaient dans le sang sacrificiel. Ces bandes servaient ensuite à effleurer les femmes et les champs, un geste censé favoriser la fertilité pour l’année à venir.
Le moment fort de la célébration était sans doute le tirage au sort : toutes les jeunes femmes déposaient leur nom dans une grande urne, permettant aux hommes célibataires de choisir une compagne pour l’année. (On sait maintenant d’où vient l’inspiration de Sarah J. Maas !).
Plus tard, l’Église catholique aurait tenté de "christianiser" cette fête païenne en désignant le 14 février comme la Saint-Valentin, en l’honneur d’un prêtre chrétien du même nom.
Au IIIᵉ siècle, sous le règne de l’empereur Claude II, le mariage aurait été interdit, car l’empereur considérait que les hommes célibataires étaient de meilleurs soldats. C’est alors qu’entre en scène Valentin, un prêtre qui aurait défié cette interdiction en célébrant des mariages en secret.
Découvert, il fut emprisonné et condamné à mort. Avant son exécution, la légende raconte qu’il aurait envoyé une lettre à la fille de son geôlier, signée "Votre Valentin", donnant ainsi naissance à une tradition qui traverse les siècles. Un geste héroïque, hautement romantique, qui aurait contribué à façonner la Saint-Valentin telle que nous la connaissons aujourd’hui.
La Transformation Capitaliste de la Saint-Valentin
Avec l’essor du capitalisme et de la société de consommation, la Saint-Valentin a connu une mutation profonde. À partir du XIXᵉ siècle, l’industrialisation permet la production en masse de cartes et de cadeaux, normalisant des pratiques d’échange matériel pour exprimer l’amour.
Loin de se limiter aux couples, cette marchandisation s’étend aujourd’hui à toutes les sphères relationnelles : amour familial, amitié, voire amour de soi, avec un marketing ciblé sur le bien-être et l’indulgence personnelle. Ce phénomène reflète une tendance plus large où les émotions et la vie intime deviennent des marchés exploitables, réduisant l’amour, le wellness et le care à une performance sociale encadrée par la consommation.
Le paradoxe de la Saint-Valentin contemporaine réside dans le fait que le système même qui valorise sa célébration est aussi celui qui réduit le temps et l’espace mental disponible pour une intimité authentique.
Dans un monde façonné par la productivité et la performance, les relations humaines sont de plus en plus régies par des contraintes de temps, de rentabilité et d’efficience. La surcharge de travail, l’hyperconnexion digitale et la précarisation économique diminuent la disponibilité émotionnelle et physique nécessaire pour cultiver des liens profonds. Ainsi, alors que la technologie permet une hyperconnexion permanente, elle ne garantit pas la présence réelle, ni la qualité des interactions.
La Saint-Valentin s’inscrit alors dans un cycle paradoxal : alors que le système capitaliste limite l’espace pour l’amour et l’intimité, il propose en contrepartie un moment normé où l’on doit intensifier l’expression des sentiments – souvent sous forme d’achats. Cette injonction à "performer" l’amour en une journée peut exacerber la pression et vider le geste de son sens.
Si certains choisissent de rejeter la Saint-Valentin pour ne pas cautionner sa dimension commerciale, d’autres la perçoivent comme une opportunité précieuse de réaffirmer leurs sentiments. Dans une société où les manifestations quotidiennes d’attention peuvent être négligées, des moments ritualisés permettent de recréer un espace d’affection et de célébration.
Plutôt que de condamner la Saint-Valentin en bloc, il est pertinent d’interroger nos pratiques quotidiennes.
Au-delà d'une dualité romantique, la Saint-Valentin peut aussi être un moment pour tendre la main à celleux qui traversent des périodes de rupture, de solitude ou de questionnement. Loin d’être une fête réservée aux couples, elle peut devenir une opportunité de repenser nos relations et de remettre en question leur hiérarchisation.
La Saint-Valentin peut parfois devenir une pression de performance où le romantisme et la sexualité sont mis en scène selon des attentes socialement codifiées. L’impératif du "grand gesture" – le cadeau somptueux, le dîner parfait, la passion exacerbée – risque de dénaturaliser les émotions authentiques et le désir, en les plaçant sous le joug de la conformité plutôt que de l’élan spontané.
Pourtant, sous ces mises en scène, des besoins importants se cachent souvent : celui de connexion, de reconnaissance et de plaisir partagé.
Il est possible de refuser la structure capitaliste de la Saint-Valentin tout en préservant la valeur du rituel, en l’adaptant à ses propres besoins. Plutôt qu’une démonstration formatée, pourquoi ne pas choisir une célébration plus en phase avec soi-même ? Une conversation profonde avec une personne chère, un message à une amie perdue de vue, une lettre adressée à soi-même, un pyjama party avec les enfants.
L’essentiel est de s’interroger sur ce que l’on veut nourrir dans ses relations et sous quelles formes cela peut être réellement incarné.
En redonnant à cette fête une dimension consciente et personnalisée, elle peut devenir un moment de soin et de réflexion plutôt qu’un exercice de conformité.
Nancy Caouette, Sexologue
Référence
History.com Editors. (2025, February 4). History of Valentine’s Day. HISTORY. A&E Television Networks. Retrieved February 12, 2025, https://www.history.com/topics/valentines-day/history-of-valentines-day-2
Recommendation:
Pour approfondir la réflexion sur la redéfinition des relations intimes au-delà des normes capitalistes, je vous suggère la lecture de "Radical Intimacy" de Sophie K. Rosa. Publié en 2023, cet ouvrage propose une analyse critique de la manière dont le capitalisme influence les vies intimes et explore des alternatives pour établir des relations plus authentiques et libératrices.